Les services de renseignement ou service d’intelligence ou encore service secret sont soumis à une discipline et une éthique rigoureuses dans leurs organisations, leurs méthodes de travail et leurs activités sur le terrain
De plus en plus, les dossiers très sensibles sont traités avec une légèreté notoire dans de nombreux pays, notamment en Afrique. Pourtant, les services de renseignement ou service d’intelligence ou encore service secret sont soumis à une discipline et une éthique rigoureuses dans leurs organisations, leurs méthodes de travail et leurs activités sur le terrain.
Selon Wikipédia, un service de renseignement est une administration publique qui fait du renseignement (collecte et traitement d'informations) au motif de la sécurité nationale ou publique, par différents moyens : interception des communications, espionnage, surveillance des individus, cryptanalyse, évaluation d'informations publiques.
Les responsables des services peuvent potentiellement conduire toute action ayant pour but la défense de la nation et de la démocratie
Pour Olivier Forcade, « par renseignement, il faut entendre l'élaboration d'une information lors d'un processus de collecte d'informations brutes, de sources techniques ou humaines, qui sont traitées, c'est-à-dire déchiffrées, traduites, puis mises en forme littéraire ». Le renseignement est lui-même « produit par le recueil et le traitement des informations. Il sert avant tout aux décideurs […] Un produit tiré du recueil et du traitement d'informations pertinentes, servant de base à l'utilisateur pour étayer ses décisions ».
Traditionnellement, les services de renseignement fournissent à leur gouvernement des services de veille et d'analyse, d'alerte relatifs à la sécurité nationale, sur l'état du monde et du territoire, ainsi que sur des crises imminentes, et sur les intentions et les actions d'ennemis potentiels ou avérés (prospective), sur les plans de défense et les opérations militaires ennemis ; les moyens de protection des secrets de l'État contre des services étrangers notamment. Ils mettent parfois en œuvre des actions secrètes visant à influence des événements extérieurs en fonction de l'intérêt national. Ils sont aussi actifs dans le contre-espionnage ou l'anti-terrorisme.
Substantiellement, le renseignement couvre toutes les missions de recherche d’informations demandées par un gouvernement afin d’accroître sa connaissance de l’environnement dans lequel il évolue et de faciliter ses prises de décision. La démarche du renseignement est l’expression d’une volonté de maîtrise de son destin.
Dans sa réflexion « L’éthique dans les activités de renseignement » parue dans Revue française d’administration publique, Eric Denécé souligne que Selon l’approche réaliste, la sécurité nationale est une fin qui justifie tous les moyens. Pour un gouvernement, ne pas s’engager dans la collecte de renseignements serait la négation d’un devoir moral et de sa principale responsabilité à l’égard de ses citoyens, parce que sans renseignement, il n’est pas de défense efficace. En conséquence, les responsables des services peuvent potentiellement conduire toute action ayant pour but la défense de la nation et de la démocratie.
Christiane Féral - Schuhl souligne que le secret ne semble pas faire l’objet d’une définition légale commune. Il serait l’information « qui n’est connu[e] que d’un nombre limité de personnes ». Il se distinguerait du devoir comme de l’obligation de réserve, de discrétion et de confidentialité
Dans tous les cas de figure, qu’il s’agisse de service de renseignement, de service d’intelligence ou de service secret, le vocable secret constitue à la fois un objet et un principe cardinal. À travers son ouvrage, « le secret face au numérique », Christiane Féral - Schuhl souligne que le secret ne semble pas faire l’objet d’une définition légale commune. Il serait l’information « qui n’est connu[e] que d’un nombre limité de personnes ». Il se distinguerait du devoir comme de l’obligation de réserve, de discrétion et de confidentialité. Pour autant, il est visé par de nombreux textes officiels, se déclinant dans un large spectre de matières juridiques, avec des règles de protection et de dérogation assez strictes, élaborées pour certaines depuis le XVe siècle. Leur violation est sanctionnée. Leur durée de vie est variable. On y trouve aussi bien le secret des données personnelles, le secret des correspondances, le secret des affaires, le secret bancaire, le secret d’État, le secret des sources, le secret de l’enquête et de l’instruction, le secret du délibéré, le secret de l’avocat, le secret médical, le secret du vote, le secret de la confession …Certains servent des intérêts publics, d’autres préservent des intérêts privés.
La dématérialisation de plus en plus généralisée de l’information engendre une importante quantité de données qui bouscule les pratiques numériques. À mesure que l’écosystème numérique évolue, en termes de multiplication des sources info-communicationnelles et d’interconnectivité des acteurs, le volume des données s’accroit de manière considérable. Depuis plus de trente ans, « les capacités de stockage, de traitement et de circulation des ordinateurs ont été multipliées par 1 000 » (Légifrance, 2018a).
L’exploitation de cet océan de données soulève des limites liées aux enjeux moraux et éthiques. Parmi les évènements récents, les révélations sur l’affaire Cambridge Analytica ont fait « bouger les mentalités » quant aux questions relatives aux plateformes numériques et à la place des données à caractère privé. La société Cambridge Analytica a utilisé les données de près de 50 millions d’utilisateurs Facebook à des fins de communication politique, sans pour autant avoir préalablement recueilli leur approbation (Légifrance, 2018a). Pour faire face à ce « tsunami » de données, souvent à caractère personnel, des cadres juridiques et réglementaires ont été développés pour renforcer le droit à la protection des données, tant au niveau national qu’à l’échelle européenne. La réflexion, au niveau européen, a produit le Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en application le 25 mai 2018. (Boulesnane, S., Ont contribué à cet article Bouzidi, L. et Varinard, C. (2020) . RGPD et e-administration : besoins, pratiques et défis. I2D - Information, données & documents, n° 1(1), 101-122)
Tous les scandales précités dans le cadre de fuite des informations confidentielles ont été pris au sérieux et avaient fait l’objet des suivis, enquêtes, mesures, décisions, réparations ou sanctions exemplaires, dans le cadre public ou privé
Dans le même registre, 9,7 millions de personnes ont été victimes d’un gigantesque vol de données personnelles chez Desjardins en 2019. C’est le plus grand vol de données de l’histoire du Québec. Ce qui aura coûté plus de 300 millions $ à Desjardins: au moins 108 millions $ en frais internes ainsi que pour la mise en place de mesures de protection destinées aux membres et aux clients, ce à quoi il faut ajouter la somme maximale de 201 millions $ pour les indemnités versées aux victimes et les 8,5 millions $ payés aux avocats de l’action collective.
Dans le cas gouvernemental, Informaticien, cybermilitant australien journaliste, lanceur d'alerte, fondateur, rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks, Julian Assange, pour des révélations sur les crimes de guerres qui auraient été commis par les États-Unis et leurs alliés en Irak et en Afghanistan, avait comparu le 26 juin 2024 devant un tribunal fédéral étatsunien des îles Mariannes qui, dans le cadre d'un accord de plaider coupable avec la justice américaine, le condamne à 62 mois de prison, couverts par sa détention provisoire à Londres de 2012 à 2019, ce qui lui permet de regagner librement l'Australie.
Informaticien, lanceur d'alerte américain, ancien employé de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la National Security Agency (NSA), naturalisé russe en 2022, Edward Joseph Snowden avait révélé l'existence de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques : à compter du 6 juin 2013, Snowden rend publiques, par l’intermédiaire des médias, des informations classées top-secrètes de la NSA concernant la captation des données de connexion des appels téléphoniques aux États-Unis, ainsi que les systèmes d’écoute sur Internet des programmes de surveillance PRISM, XKeyscore, Boundless Informant et Bullrun du gouvernement américain, mais aussi les programmes de surveillance Tempora, Muscular et Optic Nerve du gouvernement britannique. Pour justifier ses révélations, il déclare que son « seul objectif est de dire au public ce qui est fait en son nom et ce qui est fait contre lui ».
À la suite de ses révélations, Edward Snowden est inculpé le 22 juin 2013 par le gouvernement américain sous les chefs d’accusation d’espionnage, de vol et d'utilisation illégale de biens gouvernementaux. Aussi curieux et provocateur que cela puisse paraître dans l’opinion américaine , le 26 septembre 2022, le président russe Vladimir Poutine signe un décret (oukase) lui accordant la citoyenneté russe.
Somme toute, tous les scandales précités dans le cadre de fuite des informations confidentielles ont été pris au sérieux et avaient fait l’objet des suivis, enquêtes, mesures, décisions, réparations ou sanctions exemplaires, dans le cadre public ou privé.
Généralement, l'une des principales menaces auxquelles sont confrontées les organisations en Afrique subsaharienne en 2022 sont les fuites de données (61%), selon un rapport publié par KnowBe4 et IDC. Or, à ce jour, seuls 37 États africains sont dotés d'une législation en matière de protection des données personnelles. En effet, les scandales impliquant les services d’intelligence en Afrique révèlent une inquiétante dérive de ces institutions, censées garantir la confidentialité et la sécurité nationale. Deux affaires récentes illustrent cette débâcle : celle de Balthazar Ebanga en Guinée Équatoriale et celle de Fortunat Biselele en RDC. Ces cas soulignent des abus de pouvoir flagrants, une gestion douteuse des informations sensibles et un impact social dévastateur qui sapent les fondements mêmes de la société ou de toute la civilisation mondiale, au regard de l’ampleur des activités des réseaux sociaux.
1. Les faits : Détournements, scandales sexuels et divulgation publique
L’affaire Balthazar Ebanga a fait irruption sur la scène médiatique tel un séisme. Responsable à l’Agence nationale d’investigation financière (ANIF) de Guinée Équatoriale, il est accusé de détournement de fonds, et ses appareils électroniques contiennent plus de 400 vidéos intimes mettant en scène des femmes mariées, célibataires, des figures publiques et des proches, dont certaines épouses de dignitaires et même celle du chef de la sécurité nationale. Les services secrets ont choisi de divulguer ces informations sur les réseaux sociaux, exposant brutalement des vies privées.
En RDC, Fortunat Biselele, ancien conseiller du président Félix Tshisekedi, a également vu ses vidéos intimes fuiter massivement. Les services de renseignement, en publiant de telles informations, soulèvent des interrogations : dans quelle mesure leur rôle peut-il justifier de telles atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ?
2. Victimes ou coupables ? Le dilemme éthique et judiciaire
Si Balthazar et Biselele sont responsables de leurs actes inciviques et immoraux — le premier accusé de détournement de fonds et de comportement inapproprié, et le second de liens compromettants —, le traitement de ces affaires par les services de renseignement soulève un dilemme. En exposant ces éléments personnels, ces agences abandonnent la voie judiciaire pour embrasser celle de la vengeance publique et du verdict populaire. Cette divulgation excessive ternit la crédibilité de ces institutions, qui apparaissent comme les instruments de règlements de comptes plutôt que comme des garants de la sécurité nationale voire internationale.
3. Impact social : démantèlement de la vie privée et des familles
La publication de ces vidéos a eu un effet dévastateur sur les personnes impliquées et leur entourage. Ces scandales ont entraîné des ruptures familiales, des suicides et des atteintes durables à la dignité de plusieurs individus. Ces vidéos et leurs multitudes dérivées dont des adaptations musicales ou humoristique sur les réseaux sociaux (Facebook. Tik-Tok et autres) contribuent profondément à l’immoralité publique, à la banalisation de l’acte sexuel et à la promotion de la sexualité irresponsable, notamment chez les jeunes. En Guinée Équatoriale, les vidéos de Balthasar ont suscité des rumeurs, notamment autour du suicide présumé de « Philomène », l’une des femmes y impliquées, une fausse information récemment démentie par les médias dignes de foi. Cette rumeur souligne et illustre les conséquences incontrôlées de la désinformation dans un climat déjà tendu. En RD Congo, les familles de Biselele et de ses proches subissent également cette stigmatisation publique.
4. Nécessité de réformer les services d’intelligence africains
Les affaires Ebanga et Biselele montrent l’urgence de réformer les services de renseignement en Afrique, en définissant un cadre éthique et en instaurant des mécanismes de contrôle. Des normes claires et des sanctions pour les violations des droits privés sont essentielles pour éviter que ces institutions ne deviennent des sources de scandales. Ces agences doivent réaffirmer leur mission de protection nationale sans violer la vie privée de leurs citoyens.
Conclusion : La sécurité à quel prix ?
Les affaires de Balthazar Ebanga et de Fortunat Biselele révèlent des dérives institutionnelles qui sapent la crédibilité des services d’intelligence et portent atteinte aux droits individuels. Si ces institutions continuent de divulguer des informations personnelles sous couvert de sécurité, elles risquent de perdre la confiance du public et leur légitimité. Pour protéger la dignité humaine et assurer la stabilité sociale, une réforme profonde s’impose.
En principe, les services de renseignement de la Guinée équatoriale et de la RD Congo ont lourdement violé les droits individuels, notamment ceux de Balthazar et de ses partenaires sexuels, d’une part, et ceux de Fortunat Biselele, mis à part leur grande immoralité. Ces deux services sont ainsi poursuivables et condamnables, en cas d’un procès juste et équitable. Les frais de réparations par les gouvernements équato-guinéen et RD Congolais sont inestimables.
CKL et CLBB